Un sujet sous haute surveillance
Dans les rues, sur les abribus ou les grands panneaux lumineux, la publicité fait partie du paysage urbain. Mais quand il s’agit d’alcool, les règles changent. En France, impossible d’afficher n’importe quoi, n’importe où, sous peine de sanctions. La réglementation sur la publicité de l’alcool est l’une des plus strictes d’Europe, et elle soulève de nombreuses questions : peut-on promouvoir une marque de bière sur un panneau en ville ? Quels sont les risques juridiques pour une entreprise ? Où s’arrête la liberté de communication, et où commence la protection du public — notamment des plus jeunes ?
Entre contraintes légales, créativité publicitaire et enjeux de santé publique, le sujet ne manque ni de complexité… ni d’actualité. Dans cet article, on fait le point sur ce que la loi française autorise, interdit, et comment les professionnels s’adaptent à ce cadre très surveillé.
La loi Évin : socle de la réglementation sur la publicité de l’alcool
Quand on parle de publicité pour l’alcool en France, un nom revient systématiquement : la loi Évin. Adoptée en 1991, cette loi vise à protéger la population — en particulier les jeunes — contre les risques liés à la consommation d’alcool et de tabac. Elle a profondément transformé la manière dont les marques communiquent dans l’espace public.
Une loi de santé publique avant tout
L’objectif de la loi Évin n’est pas d’interdire toute publicité pour les boissons alcoolisées, mais d’en encadrer strictement les formes, les contenus et les canaux de diffusion. Autrement dit, on peut encore faire de la publicité pour une bouteille de vin ou une bière… mais pas n’importe comment.
La loi interdit ainsi :
- Toute valorisation excessive de l’alcool (par exemple en le présentant comme festif, séduisant ou socialement valorisant),
- Toute association à des performances sportives,
- Et tout message ciblant explicitement les mineurs.
Ce que la loi autorise
La publicité est autorisée, mais uniquement dans certains espaces : la presse écrite (hors publications jeunesse), les salons professionnels, certains supports numériques, et bien sûr, l’affichage extérieur… à condition de respecter des règles très précises.
La loi Évin précise également ce que les messages publicitaires ont le droit de mentionner : origine du produit, degré d’alcool, composition, nom du fabricant, et c’est à peu près tout. Exit donc les slogans accrocheurs, les ambiances festives ou les visuels avec des groupes d’amis souriants autour d’un verre.
Affichage publicitaire : ce que dit concrètement la réglementation
L’affichage urbain, qu’il soit traditionnel (panneaux, mobiliers urbains) ou numérique (DOOH), est lui aussi concerné par la loi Évin. Mais ici, les contraintes sont encore plus strictes. Pourquoi ? Parce que cet affichage est visible par tous, y compris les mineurs.
Des supports autorisés mais sous conditions
En théorie, la publicité pour l’alcool est autorisée dans l’espace public, mais uniquement si elle respecte les mentions obligatoires et les limitations de contenu. Aucun message incitatif, aucune représentation humaine en train de consommer, aucun élément festif.
Et attention : certains emplacements sont interdits, comme :
- À proximité des établissements scolaires,
- Dans les transports en commun (métros, bus, trains),
- Sur les façades de bâtiments publics,
- Ou encore dans les lieux fréquentés majoritairement par des mineurs.
Et les panneaux LED dans tout ça ?
Les supports numériques posent une difficulté supplémentaire : leur caractère animé attire davantage l’attention, notamment celle des jeunes. Certaines municipalités interdisent donc purement et simplement la diffusion de publicités pour l’alcool sur les panneaux LED en centre-ville. Même si la loi nationale ne les interdit pas directement, le pouvoir de régulation locale peut être très restrictif.

Ce qu’il est interdit de faire avec la publicité de l’alcool (et ce qui est encore autorisé)
Avec un cadre aussi strict, il est facile de faire un faux pas. Les marques et les régies doivent composer avec une liste claire — mais contraignante — d’interdits.
Ce qui est formellement interdit :
- Mettre en avant les effets festifs, euphorisants ou désinhibants de l’alcool.
- Utiliser des images de personnes qui boivent (même subtilement).
- Cibler les jeunes ou adopter un ton « cool », « fun », ou provocant.
- Associer l’alcool à une activité sportive ou professionnelle.
Ce qui reste possible :
- Montrer la bouteille, le logo ou l’étiquette d’un produit.
- Indiquer l’origine géographique (ex. : vin de Bordeaux).
- Afficher la composition ou les méthodes de fabrication.
- Communiquer de manière sobre, souvent dans un style minimaliste ou patrimonial.
En clair, on peut parler du produit, mais pas de l’expérience que ce produit pourrait procurer.
La mention obligatoire : “L’abus d’alcool est dangereux pour la santé”
En plus de respecter les contenus autorisés, toute publicité pour une boisson alcoolisée, qu’elle soit diffusée dans la presse, sur un site web ou dans l’espace public, doit impérativement comporter un message sanitaire clair. C’est une obligation légale.
La formule la plus couramment utilisée est :
“L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.”
Cette mention doit être parfaitement lisible, intégrée au visuel publicitaire, et visible au même titre que le reste du message.
Ne pas faire figurer cette mention constitue une infraction, même si le reste du message respecte la loi Évin. C’est un point de vigilance essentiel pour les annonceurs comme pour les régies d’affichage.
N’hésitez pas à lire : Comment intégrer parfaitement l’affichage dans son environnement
Exemples de campagnes sanctionnées ou controversées
Plusieurs marques se sont déjà fait épingler pour avoir flirté avec les limites de la loi Évin. Et parfois, cela coûte cher — en amendes, en bad buzz, ou en retrait de campagnes.
Le cas Heineken en 2018
La marque avait diffusé une campagne jugée trop « festive », avec des visuels lumineux, des scènes de soirée, et un slogan ambigu. Résultat : rappel à l’ordre par l’ARPP, et modification de la campagne en urgence.
Un panneau litigieux à Marseille
En 2021, un visuel publicitaire pour une bière locale avait été apposé sur un abribus à deux pas d’un collège. Malgré un contenu sobre, la proximité géographique a suffi pour faire réagir une association de prévention, entraînant le retrait du visuel par la régie.

Comment les marques s’adaptent aux restrictions pour la publicité de l’alcool
Face à ces contraintes, les marques d’alcool redoublent de créativité pour rester visibles sans tomber dans l’illégalité.
Miser sur l’identité visuelle
Certaines marques ont fait de leur bouteille ou de leur étiquette un véritable symbole, reconnaissable sans avoir besoin de mot. D’autres misent sur le design, les couleurs, ou un logo évocateur, sans message explicite.
Le sponsoring discret
Beaucoup investissent aussi dans le sponsoring d’événements culturels ou gastronomiques, où leur nom peut apparaître sans lien direct avec la consommation d’alcool. Ce n’est pas une publicité au sens strict… mais c’en est une quand même, dans l’esprit du public.
Le digital : un terrain plus souple
Sur les réseaux sociaux ou les sites web (hors accès aux mineurs), les règles sont un peu plus souples. Les marques peuvent y déployer des contenus plus narratifs, voire émotionnels, sans pour autant tomber dans la transgression.
Une étude de l’OFDT et de l’EHESP révèle que plus de la moitié des adolescents sont exposés à des pubs pour l’alcool dans la rue, et 13 % déclarent en ressentir l’envie de consommer. Voir l’étude
Rôle des autorités de contrôle (ARPP, ANPAA…)
Plusieurs organismes veillent au respect des règles dans la publicité sur l’alcool. Et leurs rôles sont complémentaires.
L’ARPP : un acteur de prévention
L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité relit et valide, en amont, les projets de campagnes. Son avis n’a pas force de loi, mais il constitue une garantie juridique souvent utilisée par les annonceurs.
L’ANPAA : la vigilance sanitaire
L’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie, elle, veille à ce que la communication sur l’alcool reste compatible avec la santé publique. Elle peut alerter les pouvoirs publics ou porter plainte lorsqu’elle estime qu’un message dépasse les bornes.
Les tribunaux : l’arbitre final
En cas de contentieux, ce sont les juridictions (souvent le Tribunal administratif ou judiciaire) qui tranchent, en se fondant sur la loi Évin et la jurisprudence.
Focus international : la France face aux autres pays européens
Si la France est réputée pour sa législation stricte sur la publicité de l’alcool, ce n’est pas le cas partout en Europe. À l’étranger, les règles varient considérablement, avec des approches plus souples ou, au contraire, encore plus sévères.
En Suède, par exemple, la publicité pour les boissons alcoolisées est pratiquement interdite, y compris sur internet. Les autorités privilégient une ligne dure, axée exclusivement sur la santé publique. À l’inverse, des pays comme l’Espagne ou l’Italie adoptent une approche plus souple : l’affichage publicitaire y est courant, même pour des produits forts, tant que le message reste conforme aux règles éthiques locales.
Le Royaume-Uni, quant à lui, mise sur un système d’autorégulation. Les publicités pour l’alcool sont encore autorisées dans les rues ou à la télévision, mais doivent éviter de cibler les jeunes ou d’associer l’alcool à la réussite ou au plaisir extrême.
Dans ce paysage contrasté, la France fait figure de modèle restrictif, avec la loi Évin qui encadre non seulement les supports, mais aussi le contenu même des messages. De nombreuses marques internationales adaptent donc leurs campagnes à chaque pays, et évitent parfois de faire de l’affichage publicitaire en France pour ne pas risquer de sanctions.

Entre liberté d’expression et santé publique
La réglementation de la publicité sur l’alcool en France est un équilibre délicat entre libertés économiques et impératifs de santé publique. Si l’affichage urbain reste possible, il est encadré au millimètre : un mot de trop, une image ambiguë, un emplacement mal choisi… et c’est la sanction.
Pour les marques, c’est un vrai défi : comment exister sans inciter ? Comment créer du lien sans franchir la ligne rouge ? Une chose est sûre : la créativité est désormais plus que jamais au service de la conformité.